Par : Andrea Warnick inf. aut., M.A.
Comme parents, vous tenez à protéger vos enfants de la souffrance émotionnelle. Il est donc difficile de trouver le juste milieu entre cet instinct naturel et votre désir de leur parler honnêtement et ouvertement des tristes réalités de la vie, dont la mort. Dans mon travail comme thérapeute spécialiste des enfants endeuillés, voici une des questions qu’on me pose le plus souvent : C’est quand le meilleur moment de dire aux enfants qu’un être cher va mourir de sa maladie? À vrai dire, ce « meilleur moment » varie d’une famille à l’autre mais, chose certaine, les enfants de tout âge gagnent à pouvoir se préparer à la mort d’un proche.
Renseigner vos enfants honnêtement a des avantages certains
Prévenir vos enfants de la mort possible d’un membre de la famille ou d’une personne chère est bénéfique, car cela :
- crée un milieu où la communication est directe et sincère
- permet aux enfants d’entendre des faits concrets des personnes soignantes
- réduit le risque que les enfants ne tirent des conclusions fautives
- aide les enfants à comprendre les changements physiques chez la personne malade
- offre à cette personne l’occasion de préparer elle aussi les enfants à sa mort éventuelle
- permet de prévoir d’autres soutiens, comme les intervenants scolaires et les programmes de gestion du deuil, s’ils sont disponibles
- laisse les enfants vivre leur deuil avec les adultes qui les entourent, au lieu de pleurer seuls à l’écart; les soignants peuvent aussi expliquer aux enfants que les émotions du moment sont saines et naturelles
- permet aux enfants, lorsque la mort est imminente, de dire adieu à leur façon ou de rester tout simplement auprès de la personne malade, les deux sachant que les moments restants ensemble, du moins physiques, sont limités
- renforce le climat de confiance entre les enfants et les adultes.
Maintenir le secret peut vous jouer des tours…
La plupart des enfants et des adolescents le ressentent – et peuvent s’inquiéter davantage – quand les adultes leur cachent des renseignements. À défaut des faits, les enfants peuvent apprendre du décès imminent par voie de conversations qu’ils entendent accidentellement ou de personnes à l’extérieur de la famille immédiate. Chose certaine, il est beaucoup mieux pour les enfants de recevoir ce genre de nouvelle de vous ou d’autres intimes. En effet, la transmission d’information à l’extérieur de la famille est difficile, voire impossible à gérer. Il est donc préférable de parler sans tarder de sujets délicats comme la mort d’un proche avec vos enfants pour réduire le risque qu’une nouvelle aussi bouleversante leur parvienne d’une autre source.
Il faut penser aux rapports de confiance à plus long terme aussi. Un enfant qui découvre qu’on lui a délibérément caché la nouvelle du décès imminent d’un être cher aura peut-être du mal à faire confiance à ses parents ou tuteurs plus tard. Le processus de deuil chez les enfants devient ainsi plus difficile.
Choisir le moment…
Même si vous reconnaissez bel et bien qu’il faut parler d’un décès imminent, choisir le moment exact de révéler une chose aussi renversante pose tout un défi. Certains moments conviennent décidément moins bien que d’autres (par exemple, vous ne le feriez jamais juste avant de laisser les enfants à l’école pour la journée). À vrai dire, pour la plupart des familles, choisir le meilleur moment sera toujours difficile, car on a rarement l’impression que c’est « bon » d’annoncer quelque chose du genre, surtout dans le cas d’un parent, d’un frère ou d’une sœur; la tâche nous gruge émotionnellement et jure avec ce que nous pensons devoir faire comme parents.
N’empêche, voici quelques stratégies conçues pour faciliter votre choix du « meilleur moment » :
- Demandez aux enfants ce qu’ils connaissent déjà de la situation; de nombreux parents s’étonnent d’apprendre que certains enfants se sont déjà rendu compte que l’être cher pourrait mourir.
- Rassurez les enfants qu’une discussion au sujet d’un décès possible n’augmente pas le risque de le voir survenir. Les enfants se livrent souvent à la « pensée magique » où ils se croient responsables de ce qui arrive, tant bien que mal, même s’ils n’y peuvent vraiment rien. Si vous présentez des faits ou des explications concrètes aux enfants, vous les aiderez à se concentrer plutôt sur les choses où ils ont justement une influence (le temps passé auprès de l’être cher, par exemple). Lorsqu’ils savent à quoi s’attendre, ils font mieux abstraction des choses indépendantes de leur volonté (cesser de s’inquiéter du moment possible du décès, par exemple).
- Demandez aux enfants combien d’information leur convient. Tous les détails ou juste un sommaire des points clés? Certains enfants ont plus soif d’information que d’autres et se sentent mieux si on leur annonce le pronostic dès que possible. Rappelons aussi l’importance de leur dire qu’ils peuvent toujours changer d’avis quant à l’information désirée.
- Créez un climat où les enfants se sentent à l’aise de se renseigner. Vous pouvez même les inviter à poser toutes les questions qu’ils ont au sujet de la maladie, même les plus délicates. Ils pourraient ainsi vous demander Est-ce que papa pourrait mourir à cause de son cancer?, et il vous revient de répondre aussi franchement que possible. N’oubliez pas, toutefois, que les enfants peuvent aussi retirer un soulagement de savoir que les grandes personnes n’ont pas toujours les réponses. Vous pouvez les rassurer davantage en soulignant que si certaines réponses vous échappent, il reste important de parler de ces choses difficiles ensemble.
- Reconnaissez qu’il n’est point nécessaire d’attendre la confirmation de tous les faits médicaux avant de prévenir les enfants. Dans de nombreuses familles, on s’empêche de parler aux enfants jusqu’à ce que l’on ait de nombreux détails (plus de résultats d’analyses, diagnostic plus précis, etc.); mais à vrai dire, les enfants et adolescents peuvent apprécier l’occasion de vivre l’expérience de l’incertitude avec les adultes dans leur vie.
- Demandez au médecin d’estimer combien de temps la personne pourrait vivre encore. Si son décès est proche, dites-le sans tarder aux enfants.
Si j’ai travaillé auprès de nombreuses familles qui regrettent ne pas avoir parlé plus tôt de la mort imminente de leur être cher, je n’en ai pas encore rencontrées qui estiment en avoir discuté trop tôt. Bref, donner aux enfants et adolescents tout le temps possible pour se préparer à un événement aussi marquant les aide.
Certaines familles abordent la possibilité d’un décès avec leurs enfants dès le diagnostic connu, et cette approche fonctionne bien pour de nombreux enfants. Phyllis Silverman, directrice de projet de la Harvard/MGH Child Bereavement Study et auteure de Never Too Young to Know: Death in Children’s Lives, écrit que :
« Leur dire la vérité dès le départ crée un esprit d’ouverture dont on a besoin tout au long de la maladie et après. Grâce à ce sentiment d’engagement, ils auront toujours la certitude de vraiment faire partie de la famille. Ils sauront aussi qu’aucun secret de famille ne viendra les isoler les uns des autres et ne viendra banaliser ce qu’ils voient, ce qu’ils connaissent et ce qu’ils ressentent. » (p. 80, traduction libre fournie aux fins du présent article)
De nombreuses familles sont agréablement surprises de constater que les enfants tendent à reprendre le cours normal de leur vie très vite après qu’on leur annonce la possibilité d’un décès. C’est qu’ils ont une capacité remarquable de faire la part entre leurs grandes joies et leurs grands chagrins. De plus, les parents ressentent un grand soulagement une fois la nouvelle difficile révélée, notamment parce qu’ils n’ont plus à doser le partage d’information.
Cela dit, savoir qu’une personne va mourir et témoigner de son décès peuvent avoir un impact bien différent. Alors même si vous les y préparez très bien, les enfants et adolescents peuvent vivre un grand choc lorsqu’un être cher meurt.
Nourris d’honnêteté, les enfants composent mieux avec la vie
Les parents qui n’informent pas leurs enfants d’un décès imminent dans la famille ont d’ordinaire de bien nobles intentions, dont le désir de leur épargner la souffrance émotionnelle. De plus, faire face à notre propre mortalité ou à la mort possible d’un membre de la famille nous ébranle émotionnellement, physiquement et spirituellement; confrontés à cette réalité, nous avons encore plus de mal à décider comment mieux soutenir nos enfants. Par exemple, de nombreux parents ont peur de dire quelque chose qui « aggraverait la situation ». Mais vous devez vous accorder une bonne dose d’indulgence dans ces circonstances, sans oublier que la meilleure façon de protéger vos enfants, c’est de les préparer aux épreuves de la vie, comme un décès imminent.
Et quoique les enfants aient pu s’y préparer, la mort d’un être cher les blessera. Cela les aide à comprendre ce qui se passe autour d’eux. Comme adulte compatissant, si vous savez prémunir vos enfants contre cette grande épreuve de la vie, vous leur offrez les outils psychologiques dont ils ont besoin pour faire face aux autres tempêtes qui marqueront leur vécu.
Voir aussi :
Comment parler d’une maladie grave à un enfant ou à un adolescent
Mythes et réalités sur les enfants et la mort
La présence d’enfants au chevet d’un proche ou d’ami mourant
Ressources (en anglais)
Eaton Russell, C. (2007). Living Dying: A Guide for Adults Supporting Grieving Children and Teenagers.
Hamilton, Joan. (2001). When a Parent Is Sick. Helping Parents Explain Serious Illness to Children.
Max and Beatrice Wolfe Children's Centre. Talking with Young People about Illness and Dying.
Winston’s Wish. (2007). As Big as it Gets: Supporting Children when a Parent Is Seriously Ill.
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